Une équipe internationale d’astronomes [1] a réussi à montrer que quelques milliards d’années après le Big Bang, lorsque l’Univers n’avait qu’un tiers de son âge actuel, les galaxies massives formant des étoiles contenaient cinq à dix fois plus de gaz froid que celles d’aujourd’hui. Réalisées grâce à l’interféromètre de l’Institut de Radioastronomie Millimétrique (IRAM ; INSU-CNRS, MPG, IGN) [2], ces observations de grandes quantités de matière froide, élément clef dans la formation stellaire, expliquent directement les productions gigantesques d’étoiles à ces époques reculées. Ce résultat est publié dans la revue Nature du 11/02/2010.
L’une des galaxies observées, nommée EGS 1305123 : à gauche l’image prise dans le domaine optique par Hubble, à droite l’image dans le domaine millimétrique obtenue avec l’interféromètre du Plateau de Bure. Les couleurs rouge et orange tracent la molécule du monoxyde de carbone. Crédits : MPE/IRAM |
« C’est la première fois que nous détectons et obtenons des images du gaz moléculaire froid dans des galaxies, typiques des populations de galaxies massives, quelques 3 à 5 milliards d’années après la naissance de l’Univers» a déclaré Linda Tacconi (Max-Planck-Institute for Extraterrestrial Physics), principal auteur de l’article [3].
Ces dix dernières années, les astronomes ont établi un cadre général expliquant la formation et l’évolution des galaxies lorsque l’Univers n’avait que quelques milliards d’années. Le gaz s’est refroidi et s’est accumulé dans de mystérieuses concentrations de matière appelées « halos de matière noire ». Depuis, le gaz provenant de ces halos a continué à s’accréter sur les proto-galaxies. Les collisions et les fusions successives de ces galaxies ont ensuite transformé les galaxies suivant le scénario d’évolution hiérarchique. De façon surprenante, les proto-galaxies de type spiral, telle notre Voie Lactée, semblent avoir formé des étoiles presque de manière continue avec des taux dix fois plus élevés que ce qui est observé dans les galaxies spirales de l’Univers local. La question fondamentale est de savoir si ce taux élevé de formation stellaire est plutôt due à de larges réservoirs de gaz moléculaire froid (à partir desquels les étoiles se forment) ou si il était intrinsèquement plus important lorsque l’Univers était jeune.
Un grand programme d’observations utilisant l’interféromètre du Plateau de Bure, dédié à l’étude de galaxies lointaines, lumineuses et formant des étoiles, a permis de répondre à cette question en mesurant directement le gaz froid dans ces galaxies. Ce programme a profité des récents développements et progrès qui ont amélioré la sensibilité des systèmes de réception de l’interféromètre. « Ces avancées représentent un véritable défi technologique » explique Pierre Cox, directeur de l’IRAM et co-auteur de l’article. Le premier relevé systématique des propriétés de la matière froide (tracée par l’intermédiaire du monoxyde de carbone) a donc été possible dans un grand ensemble de galaxies « normales », situées à des époques reculées, alors que les observations précédentes n’avaient été effectuées que pour des objets exceptionnellement lumineux tels que des quasars ou des systèmes en fusion.
« Lorsque nous avons commencé ces observations il y a un an de cela » raconte Linda Tacconi, « nous n’étions pas sûrs de détecter quoi que ce soit ! En fait, les résultats ont dépassé nos pronostics les plus optimistes. Nous sommes en mesure aujourd’hui de démontrer que les galaxies « normales » possédaient de cinq à dix fois plus de gaz froid à ces époques reculées qu’aujourd’hui. Etant donné que ces galaxies formaient des étoiles à un taux élevé durant de longues périodes de temps, il s’ensuit que le gaz à partir duquel ces étoiles se forment a du être constamment réapprovisionné par l’accrétion de la matière noire des halos, en parfait accord avec les récents travaux théoriques.»
D’autres résultats importants de ces observations sont les premières images résolues de la distribution et de la vitesse de cette matière froide dans plusieurs de ces galaxies. Françoise Combes (Laboratoire d'Etude du Rayonnement et de la Matière en Astrophysique, INSU-CNRS, Observatoire de Paris), co-auteur de l’article et experte dans la dynamique des galaxies, se réjouit : « Ces données sont fantastiques. Elles montrent de manière claire la présence de disques de gaz très massifs dans ces jeunes galaxies. Il semblerait que l’efficacité à former des étoiles dans ces systèmes n’était pas très différente de celle des galaxies d’aujourd’hui. Tout simplement, à ces époques reculées il y avait beaucoup plus de gaz froid, ce qui explique les taux de formation stellaire élevés qui nous ont tellement intrigué pendant de nombreuses années. »
L’observation détaillée du gaz froid joue un rôle essentiel pour comprendre les mécanismes complexes à l’œuvre dans l’évolution des galaxies des protogalaxies jusqu’aux galaxies actuelles, telles que notre propre Voie Lactée. « Le relevé effectué grâce à l’interféromètre du Plateau de Bure a ouvert une voie entièrement nouvelle pour étudier les premières galaxies et il est clair que nous n’en sommes qu’au tout début. » dit Pierre Cox.
Notes:
[1] Font partie de cette équipe:
P.Cox, R.Neri (IRAM, France), F.Combes (Laboratoire d'Etude du Rayonnement et de la Matière en Astrophysique ; INSU-CNRS, Observatoire de Paris,Université Pierre et marie Curie, Université de Cergy Potoise, Ecole Normale Supérieure), N. Bouché, N.M. Förster Schreiber, R. Genzel, J.Gracia-Carpio, D. Lutz, L.J. Tacconi (Max-Planck-Institute for Extraterrestrial Physics, Garching, Germany)M.C.Cooper, B.Weiner (University of Arizona, USA), K.Shapiro, J.Comerford, M.Davis (University of California, Berkeley, USA), A.Bolatto (University of Maryland, USA), F.Bournaud (Astrophysique interactions multi-échelles ; INSU-CNRS, CEAFrance, Université Paris Diderot), A.Burkert, T.Naab (University of Munich (LMU) and Excellence Cluster, Munich, Germany), S.Garcia-Burillo (Madrid Observatory (OAN), Madrid, Spain), A.Omont (IInstitut d’Astrophysique de Paris, INSU-CNRS, Université Pierre et Marie Curie), A.E. Shapley (University of California, Los Angeles, USA), A. Sternberg (Tel Aviv University, Israel). R.Genzel is also associated with the Physics Department at the University of California, Berkeley (USA).
[2] L’Institut de Radioastronomie Millimétrique (IRAM) a été fondé par le Centre National de la Recherche Scientifique en France et la Max-Planck-Gesellschaft en Allemagne, rejoints par l’Instituto Geográfico Nacional en Espagne. Son siège social est à Grenoble, un radiotélescope de 30 m de diamètre au Pico Veleta en Espagne, un interféromètre de 6 antennes de 15 m de diamètre sur le Plateau de Bure dans les Hautes-Alpes françaises.
[3] Article original:
High molecular gas fractions in normal massive star forming galaxies in the young Universe par Linda Tacconi et al. (l’article sera publié dans la revue Nature daté du 11 février 2010)
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