Plus de dix ans après sa découverte, des astronomes réussissent à mesurer la distance de la galaxie HDF850.1 dans le 'Hubble Deep Field' et démontrent qu'elle appartient à un amas primitif de galaxies
Une équipe internationale d’astronomes impliquant en France des chercheurs de l’Institut de radioastronomie millimétrique (CNRS/MPG/IGN), du CNRS et du CEA a réussi à déterminer la distance à la galaxie HDF850.1, l’une des galaxies les plus actives en formation d’étoiles connue dans l’univers. La galaxie HDF850.1 est éloignée de 26 milliards d’années-lumière, bien plus loin que ce que l’on croyait, et était active lorsque l’univers avait moins de 10% de son âge actuel. Il apparaît aussi que HDF850.1 fait partie d’un amas d’une douzaine de proto-galaxies qui s’est formé lors du premier milliard d’années-lumière de l’histoire cosmique et qui est le deuxième proto-amas révélé à ce jour.
La région du Hubble Deep Field dans laquelle se situe la galaxie HDF850.1. La galaxie est indiquée par une croix. Crédits : STScI / NASA, F. Walter (MPIA). |
Découverte en 1998, la galaxie HDF850.1 est célèbre car elle produit des étoiles à des taux fantastiques même pour des échelles astronomiques avec une masse combinée correspondant à plusieurs milliers de masses solaires par an. Pour comparaison, une galaxie normale telle que le Voie Lactée ne produit pas plus que une, voire trois, masses solaires par an. Cependant durant plus d’une décennie, les astronomes n’ont jamais réussi à déterminer la position dans l’espace de HDF850.1, et malgré de nombreuses tentatives la mesure de sa distance est restée vaine jusqu’à ce jour. Les raisons pour ces tentatives infructueuses sont les suivantes.
La région du ciel dans laquelle est située HDF850.1 est une région qui permet de sonder les profondeurs de l’espace de manière unique. Cette région connue sous le nom de ‘Hubble Deep Field’ (soit HDF) a d’abord été observée par le télescope spatial Hubble, relevant une riche population de milliers de galaxies visibles dans le domaine optique. Cependant, malgré leurs richesses, ces observations ne dévoilent qu’une partie de cette population et de nombreux groupes d’astronomes ont, peu après que ces données étaient connues, initié des observations complémentaires dans d’autres domaines de longueur d’onde en utilisant soit des télescopes au sol soit d’autres télescopes spatiaux.
A la fin des années 1990, des astronomes, utilisant le James Clerk Maxwell Telescope (JWST) à Hawaii ont observé cette région à la longueur d’onde de 0.8 mm, particulièrement adaptée à la détection de régions froides comme des nuages de gaz et de poussières. Ce fut une réelle surprise lorsqu’on se rendit compte que le Hubble Deep Field à cette longueur d’onde submillimétrique était dominé par l’émission de la source HDF850.1, l’une des sources les plus lumineuses détectées alors et qui, de ce fait, devait produire plus d’étoiles que toutes l’ensemble de toutes les autres galaxies présentes dans cette région – de plus, HDF850.1 n’était tout simplement pas visible dans les observations du télescope spatial Hubble !
Le fait que cette galaxie reste invisible en optique n’est pas si surprenant. « Les étoiles se forment au sein de nuages de gaz et de poussières très denses. Ces nuages sont donc opaques à la lumière visible, les rendant indétectables en optique ; par contre, ces nuages denses deviennent transparents lorsqu’on les observe dans le rayonnement submillimétrique, ce qui permet de les étudier à ces longueurs d’onde. Cependant, dans le cas de HDF850.1, les seules données optiques et submillimétriques ne permettaient pas de déterminer la distance de cette galaxie et donc sa place dans l’histoire cosmique » explique Fabian Walter.
Ce n’est qu’aujourd’hui qu’une équipe internationale dirigée par Fabian Walter du Max-Planck Institut für Radioastronomie à Heidelberg (Allemagne) a réussi à résoudre ce mystère. Grâce aux récents développements instrumentaux effectués sur l’interféromètre de l’Institut de radioastronomie millimétrique (IRAM) situé dans les Alpes françaises, les chercheurs ont pu identifier dans le spectre de HDF850.1 des signatures caractéristiques de l’atome de carbone ionisé et de la molécule de monoxyde de carbone, qui ont pour la première fois permis de déterminer de manière indiscutable la distance à cet objet. « C’est la conséquence directe de l’augmentation et de la puissance et de la sensibilité de l’instrumentation placée au foyer des antennes de l’interféromètre du Plateau de Bure qui a permis de détecter ces faibles raies d’émission dans HDF850.1 et de finalement conclure une recherche qui a commencé, il y a quatorze ans » souligne Pierre Cox, directeur de recherche CNRS et directeur de l’IRAM.
Le résultat est en fait surprenant. La galaxie se trouve à une distance correspondant à 26 milliards d’années-lumière de la Terre, soit un décalage vers le rouge de z=5.2. « Nous observons HDF850.1 à une époque lorsque l’univers n’avait que 1 milliards d’années après le Big Bang. L’extraordinaire activité de formation stellaire au sein de cette galaxie appartient donc clairement à une époque reculée de l’histoire cosmique, alors que l’univers n’avait que 8% de son âge actuel » précise Fabian Walter.
Une fois la distance connue, il a été possible de situer HDF850.1 dans son environnement. En se basant sur des données complémentaires obtenues dans le cadre de grands relevés, les astronomes ont pu montrer que cette galaxie extraordinaire faisait partie d’un amas primitif de galaxies, le second connu à ce jour dans l’univers lointain.
Ces découvertes soulignent l’importance des interféromètres opérant dans les domaines de longueurs d’onde millimétriques et sub-millimétriques et montrent l’impact qu’auront de futurs observatoires encore plus puissants tels que NOEMA, la future extension de l’interféromètre du Plateau de Bure ou ALMA, un nouvel interféromètre géré par un consortium international et actuellement en construction dans le désert de l’Atacama au Chili. « Ces deux instruments sont conçus pour explorer les domaines de longueurs d’onde millimétriques et sub-millimétriques avec une sensibilité et une efficacité inégalées et permettront de ce fait d’étudier un très grand nombre de galaxies à flambée d’étoiles qui étaient actives lorsque l’univers était jeune et qui restent indétectables aux longueurs d’onde optique » conclut Fabian Walter.
Source(s):
Publié dans la revue Nature le 14 juin 2012 sous le titre “The Intense Starburst HDF850.1 in a Galaxy Overdensity at z=5.2 in the Hubble Deep Field”.
Les auteurs sont Fabian Walter (Max Planck Institute for Astronomy [MPIA] and National Radio Astronomy Observatory [NRAO], Socorro), Roberto Decarli (MPIA), Chris Carilli (NRAO and Cambridge University), Frank Bertoldi (University of Bonn), Pierre Cox (IRAM), Elisabete Da Cunha (MPIA), Emanuele Daddi (CEA Saclay), Mark Dickinson (NOAO, Tucson), Dennis Downes (IRAM), David Elbaz (CEA Saclay), Richard Ellis (Caltech), Jacqueline Hodge (MPIA), Roberto Neri (IRAM), Dominik Riechers (Caltech), Axel Weiss (Max Planck Institute for Radio Astronomy [MPIfR]), Eric Bell (University of Michigan, Ann Arbor), Helmut Dannerbauer (Universität Wien), Melanie Krips (IRAM), Mark Krumholz (UCSC), Lindley Lentati (Cambridge University), Roberto Maiolino (INAF-Osservatorio Astronomico di Roma and Cambridge University), Karl Menten (MPIfR), Hans-Walter Rix (MPIA), Brant Robertson (University of Arizona), Hyron Spinrad (UC Berkeley), Dan Stark (University of Arizona) et Daniel Stern (Jet Propulsion Laboratory).
Contact(s):
Pierre Cox, Directeur de l'IRAM
Karin Zacher, Chargée de Communication de l'IRAM